Documentaire en écriture: « Nous sortîmes de la nuit pour voir les étoiles »

« Et nous sortîmes de la nuit pour voir les étoiles »

(titre provisoire)

Projet de film documentaire de 90 min

Les intentions

C’est en janvier 2011 que j’arrive pour la première fois au Cambodge. Missionné en tant que chef

opérateur image pour une chaîne de TV européenne, je dois réaliser avec une journaliste, cinq

reportages courts… en sept jours ! Un tour express du Cambodge s’annonce, qui restera

longtemps dans ma mémoire. Quatre autres séjours plus récents, tout autant jalonnés de

rencontres, viendront ensuite tisser peu à peu la trame d’un projet de film.

 

La Première rencontre : le Cambodge

Arrivés à Phnom Penh nous sautons dans un tuk tuk. En avant dans le grand bal des mobylettes.

Ils sont parfois quatre ou cinq par engins. Un travelling à l’air libre, nous roulons de concert avec

eux. Au-delà du cliché, je suis fasciné par leur beauté et les bouts d’histoires que j’entrevois déjà.

 

Dans l’avion, au retour de ce périple, je décide de revenir deux mois plus tard.

Nous n’avions pas eu le temps d’aller à Battambang, tourner le dernier reportage sur l’école d’art

Phare Ponleu Selpak (Lumière de l’art en khmer), dans le Nord-Ouest du pays.

J’avais entendu parler quelques années plus tôt de cette école, lors du tournage d’un documentaire

que je réalisai sur les arts de la rue, et je voulais vraiment découvrir ce lieu.

 

La deuxième rencontre : l’Ecole Phare Ponleu Selpak

J’arrive dans la cour centrale de l’école Phare : trois personnes assises dans l’herbe jouent d’une

petite flûte et d’un xylophone. J’entrevois des adolescents qui s’exercent au trampoline pendant

que d’autres jonglent dans une magnifique salle en bois, d’autres encore dessinent sous les

arbres. Là, je lâche prise… Je me laisse aller dans cette position du spectateur ébahi : j’assiste à

une sorte de conte où tous les petits personnages préparent un immense spectacle, joyeux,

poétique et libre.

 

 La troisième rencontre : le Théâtre du Soleil

Le lendemain, dans cette même cour, je croise Georges Bigot, metteur en scène et comédien

connu (1).

Il me demande ce que je fais là, je lui rétorque : « et toi ? »

Missionné en tant que metteur en scène par Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil, il vient

régulièrement à Phare depuis trois ans pour la création d’une pièce de théâtre, « L’Histoire terrible

mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge » (2), écrite par Hélène Cixous et mise

en scène à Paris par Ariane Mnouchkine en 1985.

Trente ans après, Georges recrée au Cambodge, avec trente jeunes enfants khmers, dans leur

langue, cette pièce de 2 fois 3 heures.

Cette fable shakespearienne monumentale nous plonge dans l’histoire contemporaine et sanglante

du Cambodge. On y voit Sihanouk arriver au pouvoir, le fantôme de son père l’épauler, Saloth Sar

devenir Pol Pot, Kissinger et Kossyguine pousser leurs pions, et, comme eux, la Chine, le Japon,

le Vietnam s’opposer ou s’allier au fil d’intérêts économiques et politiques qui feront du Cambodge

une terre de génocide…

Georges m’ouvre les portes de son lieu de répétition.

J’ai du temps. Je m’installe en silence et je commence à filmer le travail de ces apprentis

comédiens. Tous sont issus de milieux très pauvres, certains ne savent ni lire ni écrire. L’histoire

de ce pays a été anéantie et ces enfants ne la connaissent pas, et déjà dans ces scènes de

répétition on voit quelque chose de l’ordre du sacré se dérouler, une parole redonnée aux victimes

du génocide.

Je suis alors témoin d’un événement très fort : je filme la catharsis. Un événement à bien des

égards considéré comme historique.

 

Georges Bigot au commande de ce gros bateau de théâtre ne cesse de me dire :

« Depuis qu’on va au Cambodge, depuis 2007, depuis qu’il se sont appropriés le spectacle, j’ai

compris à quel point ce spectacle me dépasse, l’histoire nous dépasse, la vie nous dépasse… Tout

cela est plus grand ».

Cette vision des choses résonne en moi et me donne envie d’élargir le propos du film. Je veux témoigner de ce qui se joue, bien au-delà de la pièce, dans cette école.

Pour cela je sens qu’il faut revenir aux sources, creuser, revenir au « trauma ».  (annexe (1) – l’arrivé des Khmers Rouges au Cambodge)

 

 

La quatrième rencontre : les dessins d’enfants

En septembre 2013, c’est la fin de la deuxième tournée de la troupe cambodgienne de

« Sihanouk », qui s’achève à la Cartoucherie de Vincennes.

La projection du film « Ombre et Lumière » réalisé 30 ans plus tôt par Véronique Decrop,

l’initiatrice de l’école Phare, accompagne une conférence publique.

Je découvre ce film tourné en 16mm : les premières images des camps et des ateliers de dessins

à Site 2. Les images sont fortes, les dessins puissants.

Dès le lendemain je décide de rencontrer Véronique Decrop.

Dans son petit atelier d’artiste peintre, à Marseille, rempli de très grosses caisses en bois, elle

ouvre avec difficulté l’une d’elles et en sort une magnifique aquarelle encadrée :

Le Temple d’Angkor, Roat, 1987, Site 2

« Roat, 10 ans, a réalisé cette aquarelle au cours de sa « période jaune ».

Le temple d’Angkor, qu’il n’a jamais vu si ce n’est sur les représentations extrêmement détaillées

qu’en faisaient les artistes de Site 2 : toujours la même vue reproduite par système de quadrillage,

dans des couleurs « chromos » de plein soleil.

Mais Roat peint le temple sur fond de soleil couchant et c’est déjà presque un sacrilège : le soleil

ne se couche pas sur Angkor, il se lève ! Il le fait basculer sur la ligne d’horizon, transforme les

tours en obus (c’est encore plus clair pour les parties qui sont déjà dans la chute – celles dans

l’autre moitié gardent encore du relief), et plonge la tour centrale dans une grande ombre noire.

Mais dans tout ça, il ménage une toute petite porte blanche qui figure l’espoir.

En une seule image, Roat réunit à la fois son expérience de vie et celle de son pays ! »

https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Bigot

http://sihanouk-archives-inachevees.org/#/

Synopsis

L’histoire se déroule au Cambodge. Le lieu principal du film est l’école Phare Ponleu Selpak,

installée à Battambang. La narration s’articule autour du parcours de vie de trois personnages :

Roat, Deht et Marady. Tous trois sont issus de l’école Phare, qu’ils ont fréquentée à des périodes

différentes.

Roat, 41 ans, a connu l’horreur avant l’âge de 10 ans. Arrivé par hasard dans les ateliers de

dessin créés sur place en 1986 par Véronique Decrop, c’est par la peinture qu’il parvient à

surmonter son traumatisme :

« Au cours de cette année, il était aussi crasseux que tous les autres, même un peu plus, et cela

avait probablement un lien avec son expérience sous Pol Pot.

Sa grand-mère me racontait que Roat était battu sans merci au camp et qu’elle, obligée d’assister

à la scène, ne pouvait même pas pleurer car cela aurait signifié la mort pour elle et la perte pour

Roat de son seul refuge. Selon elle, son petit-fils avait été cassé par les khmers rouges et il en

avait gardé un « esprit dérangé ».

Il n’avait pas « l’esprit dérangé » mais assurément il avait un comportement tout à fait original.

Il n’appartenait pas au groupe, totalement indépendant, incontrôlable ; il venait au cours quand

cela lui chantait, parfois en coup de vent, debout et griffonnant des esquisses et des aquarelles

qui, au cours de l’année, sont devenues incroyables. Il a eu sa période bleue, sa période rose, sa

période jaune… passant de l’impressionnisme au souci du détail et produisant des images qui

parlaient à tout le monde. »

Nous le retrouvons 30 ans plus tard à Phnom Penh dans son cabinet, car le voici aujourd’hui

psychothérapeute. Sa trajectoire nous éclaire sur sa résilience et comment aujourd’hui il peut aider

à la reconstruction individuelle et collective.

Roat, dans la vie, dans le film, est soin, parole… Il incarne l’esprit.

Deht, 43 ans, a lui aussi vécu toute la souffrance du régime des Khmers Rouges. Compagnons

de jeu de Roat au camps de réfugiés, il est plus physique et plus joueur que celui-ci, et c’est à

travers le cirque qu’il va dépasser son propre trauma.

Comme un chat qui retombe sur ses pattes, Deht s’est toujours débrouillé seul pour se tirer des

épreuves.

8

Il vit aujourd’hui encore dans l’enceinte même de l’école Phare Ponleu Selpak. Directeur artistique

de l’école, il est l’une des figures principales de ce lieu devenu LE lieu de la renaissance culturelle

du Cambodge….

Un spectacle de cirque « Sokha » raconte son long cheminement depuis les camps de réfugiés.

Ce spectacle est joué à Siem Reap (temples d’Angkor) plusieurs fois par semaine devant un public

international ; il est aussi donné en tournée aux Etat-Unis depuis septembre 2015.

A travers son histoire sera abordée la résilience par l’art, la catharsis.

Deht, dans la vie, dans le film, est tout entier mouvement… Il incarne le corps.

Marady, 28 ans, représente quant à elle le présent, elle est de cette première génération des

« enfants de la guerre ».

Mais Marady, c’est aussi l’âme du passé, et tout un ensemble de non-dits : c’est elle qui porte le

rôle écrasant du Roi Sihanouk dans la pièce d’Hélène Cixous, elle qui, sur scène, incarne l’histoire

même du Cambodge… Elle est aussi la présence mystique et féminine, tout en pudeur, en

réserve, en force sereine, qui évoquent immédiatement la grandeur des temples d’Angkor.

Orpheline à l’âge de 9 ans, adoptée, Marady vendait dans son enfance des gâteaux dans la rue.

Elle a rejoint l’ école Phare Ponleu Selpak à l’age de 12 ans.

Plus tard, elle s’est totalement consacrée à son travail théâtral. Son mari n’a pas supporté cet

éloignement. Marady a demandé le divorce mais faute de revenus suffisants, on lui a enlevé la

garde de son enfant. Sa famille, son village lui a tourné le dos, elle loue une petite chambre à

Battambang.

Jouer cette pièce a changé sa vie ; Marady a découvert un pan de l’histoire de son

pays, elle s’est imprégnée d’un nouvel héritage culturel, a fait l’apprentissage de la langue parlée

au palais. Désormais, Marady a un vrai statut social : elle est comédienne.

Marady nous amène aux rivages de la transfiguration, des affinités mystérieuses, de ces fantômes

anciens qui hantent l’inconscient collectif … Elle est, dans ce film, l’âme.

Le déroulement narratif du film, chronologique, noue ces trois destins, comme trois torons d’une

même tresse: ils se croisent et se recroisent autour de ce thème central qu’est la renaissance.

Les univers du théâtre, du cirque, du dessin sont des éléments visuels essentiels qui viennent

donner corps, couleurs, et toute une vitalité vibrante à ce film.